18 août 2010 3 18 /08 /août /2010 10:01

Une « semaine BnF de la gastronomie » ne serait pas vraiment complète sans l'évocation enchanteresse, en guise d'intermède, de nos précieux annonciateurs de ripaille, j’ai nommé les borborygmes et leurs charmes sonores.


Les borborygmes, on le sait, ont depuis longtemps acquis leur lettres littéraires de noblesse, grâce à mon maître Albert Cohen. Extrait :

 

« Tu es belle, lui dit-il. Viens sur mes genoux. »

Elle obéit avec empressement, mit sa joue en position amoureuse. Hélas, un borborygme s’éleva avec des volutes de contrebasse, mourut soudain, et elle toussa pour le détruire et l’embrouiller rétroactivement par un bruit antagoniste. Il lui baisa la joue pour faire atmosphère naturelle et adoucir cette humiliation. Mais aussitôt, majestueux, un autre borborygme retentit qu’elle camoufla en se raclant la gorge. Contre un troisième, d’abord caverneux, puis mignon et ruisselet, elle lutta en appuyant sa main subrepticement mais fort, afin de le comprimer et réduire, mais en vain. Un quatrième survint en mineur, triste et subtil. Plaçant tout son espoir en un changement de position, elle s’assit sur le fauteuil en face et dit à très haute voix qu’il faisait beau. [...] un nouveau borborygme s’éleva, un beau borborygme, très réussi, élancé et divers, tout en spirales et fioritures, pareil à un chapiteau corinthien. Ensuite, il y en eut plusieurs à la fois, dans le genre grandes orgues, avec basson, bombarde, cor anglais, flageolet, cornemuse et clarinette. Alors, de guerre lasse, elle dit qu’il lui fallait s’occuper du dîner.(Belle du Seigneur, p. 825-826)

 

Comme Ariane, avoue-le, tu es sans doute toi aussi honteux de ces prudes et vibrantes danses du ventre lorsqu’elles te surprennent en Rez-de-Jardin, alors pourtant qu’elles sont notre bien commun le mieux partagé, notre langage universel. Oui, je l’affirme : j'adore ces francs et innocents gargouillis, et je les guette, tendrement, chez chacun de mes voisins. Ô compagnon de tablée, jamais tu n'es plus proche de moi que dans ton borborygme. Mon semblable, mon frère, te voilà comme moi, animal glougloutant ! Du borborygme je fais un cri d’amour et ralliement : BnF ! BnF ! les Borborygmes nous Fédèrent !

 

Beaux borborygmes arythmiques. Sois-leur très attentif, camarade, et respecte-les bien, oui, même chez les autres : ils sont le cri primordial le plus proche de l’Eden. Ils sont ce qui suscite les processions sacrées et multitudinaires du Café des temps perdus, entre midi et quatorze heures. Ou bien, c'est vrai aussi, les signes annonciateurs d'une après-midi cahoteuse : finalement la salade de pâtes / oeuf poché / saumon fumé n'était peut-être pas très fraîche aujourd'hui…

 

A demain pour l'épisode 3 de notre semaine BnF de la gastronomie.


NB : pour les incurables érudits avides de savoir, je vous invite à consulter l'ouvrage délicieux de Frantz Glénard sur Les Ptoses viscérales (1899), un petit bijou de Gallica. Car n'oublie jamais, gargouilleur, que le borborygme est un glouglou qui provient de ton hypochondre gauche (p.91). Et quoiqu'en dise notre ami Frantz, il n'est en rien "exclusif à la femme"! 

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